Memento Homo [I]
Plaidoyer pour une image messianique
« Ne te mets pas à réfléchir à l’image de Dieu en l’homme. Ce n’est pas qu’il s’agisse là d’une hérésie, mais c’est [aller au devant de]l’ignorance et de l’esprit de querelle [...], car aucune créature n’est en mesure d’y comprendre quelque chose. » [1]
Plaidoyer pour une image messianique est la première pierre de Memento Homo. Ce travail commence par une exégèse de Colossiens 1.15 [Christ est l'image du Dieu invisible] pour, en explorant la réception de ce fragment puis en proposant une interprétation, dresser les premiers contours de ce que nous avons appelé image messianique.
introduction
L’image nous enferme, nous encadre, nous laisse dans le statu quo. Elle gère, gouverne, contrôle et oriente nos gestes et pensées. Il y a une autre image, plus discrète, qui doucement nous pousse à un commun, est pédagogue et porte la présence de l’invisible. Les deux coexistent et vivent dans l’ombre l’une de l’autre. Image aliénante ou image pédagogue ? Perpétuellement changeantes, évolutives, fluctuantes, elles sont relations et doivent être traitées comme telles. Répondre à la crise de l’image, c’est répondre à ce choix, se prononcer sur l’image avec laquelle être en relation. Qu’est-ce qui régit nos manières de fabriquer les images, d'en user ou encore de les regarder ? Face à elles comme lorsque nous en produisons : resterons nous sous ce joug ou tendrons nous à un dépassement pour une prise de conscience du monde ? Sans image, pas de salut.
Cette enquête porte sur l'ontologie de l'image pensée par l'apôtre Paul, et la façon dont elle pourrait être une réponse à la crise de l'image de notre post-modernité. Le texte biblique est fondation d'un regard sur l'image. Au travers des soixante-six livres qui composent le canon, il y a image de Dieu, image de l’homme, image de Messie et images interdites. Lorsque l'homme est créé, il l’est à l'image de Dieu. C'est, pour nous qui scrutons le pourquoi et le comment de l'image, un point fantastique : l'image de la plus grande des hyperboles ; l'image de la raison des guerres, des révoltes, des excuses du pire comme du meilleur chez l'humain, c'est vous et moi. Et lorsque le texte biblique témoigne de la plus belle des théophanies, ce dernier est décrit comme « image du Dieu invisible » : le Messie, l’oint, l’annoncé est une image. Pourtant, dans ce contexte israélite de sa venue, deux des commandements du décalogue portaient sur l'interdit des images. Il serait donc interdit de produire des images en étant nous-mêmes des images en relation avec une autre image. Nous avons là une contradiction, un paradoxe à explorer. Est-ce que Dieu s’autorise ce qu’il condamne ?
La première interprétation des textes liant le démiurge à son sujet par l’image, la plus œcuménique et orthodoxe d’entre toutes, est celle de la Trinité : « dans le récit de la Genèse Dieu parle de lui au pluriel ; si nous sommes créés à l’image de Dieu, c’est esprit, corps et âme comme il est Père, Fils et Saint-Esprit ; le Christ est image donc matrice de la création, nous sommes des êtres relationnels comme il est relation, la Trinité est une énigme et un mystère », et ainsi de suite. Mais quelle est la valeur de cette interprétation d’un Dieu tri-une, quelles en sont les limites ? Le temps est à un retour au terreau culturel des auteurs pour une nouvelle compréhension : lorsqu'une œuvre est, elle est dans un contexte précis. L'auteur est émetteur avec son recul, sa culture et son parcours qui construisent une façon de penser qui lui est propre : sa paideia. Il propose l'œuvre en vue du récepteur défini dans le temps et l'espace qui lui aussi a sa paideia[2] qui peut être commune (mais ne le sera que trop peu) et qui crée sa perception et sa sensibilité. Nous avons ici la base, le principe, le niveau 0 de la communication : comprendre l'émetteur permet de comprendre le message : si je ne comprends pas l'émetteur, je ne comprends pas le message. Il faut revenir au contexte situationnel du texte, à son « assise dans la vie »[3]. Des premières questions émergent, d’autres arrivent et dessinent les contours de notre enquête. Lorsque Marie-José Mondzain tient que « là où se tient l'énigme de l'économie, là se tiendra l'énigme de l'image, et cela, peut-être, jusqu'à nos jours »,[4] je ne peux qu'être d'accord. Premièrement, car l’énigme de l’économie a reçu comme réponse la Trinité qui nous revient de questionner.[5] Deuxièmement, car elle souligne la dialectique motrice de notre recherche. Il nous faut répondre à l’énigme de l’économie pour atteindre l’énigme de l’image. Là où Marie-José Mondzain se positionne dans l'orthodoxie[6] — les vainqueurs de l'histoire, je préférerais le regard critique d'un Giorgio Agamben. Car c'est de vainqueurs et de vaincus dont il est question : une bataille s'est jouée, et il n'a jamais fait bon de ne pas être trinitaire.[7] Si c'est la Trinité qui est le dogme d'usage, c'est que plusieurs parties politiques et humaines ont eu lieu, avec des ramifications lointaines et denses — de Nicée à Michel Servet, qui veut mentir éloigne les témoins[8]. La question trinitaire a des conséquences complexes. Ce n’est pas tant un échange d’interprétations de fragments qu’il nous faut réaliser, mais une critique de la construction rhétorique trinitaire. Que vaut le dogme, que nous relate — sommairement — les écrits patristiques et quelles sont les limites de ces pensées en relation à celle de Paul ? Arrive alors la question suivante : pourquoi penser l'image à partir de la théologie ? Pourquoi chercher chez Paul une idée de l'image alors que deux mille ans de penseurs sont passés après lui ? Avant même de se demander ce que nous avons perdu et que nous nous devons de retrouver, c'est le processus même de faire usage d'une science telle que la théologie qu'il nous revient de justifier.
Partie I : Archéologie
Chapitre 1 : Paul, auteur trinitaire
Le Christ-Image
Syncrétisme et palimpseste
L’écueil trinitaire
Seuil
Chapitre 2 : Paul, auteur juif
Anthropomorphisme : Premier Adam
Eschatologie : Deuxième Adam
Seuil
Chapitre 3 : L’image comme présence
Présence du prototype : Le temple et le corps
Présence des images du prototype : L’unité et le peuple
Seuil
Chapitre 4 : L’image comme pédagogue
Teleios, la stature à atteindre
Le locus messianique
Seuil
Partie II : Crise de l’invisible
Chapitre 1 : Esclave en Égypte
Seuil
Chapitre 2 : Exilé dans le désert
Seuil
Chapitre 3 : Sacrificateur en Israël
Seuil
Chapitre 4 : De l’invisible — la fin de la pédagogie
Seuil
Conclusion
[1] Sopatros, Apophthegmata patrum, dans PG 65, 413 (Sources chrétiennes 474, p. 265)
[2] Il nous faut « considérer ce vocable de avec les yeux des Grecs et non avec nos yeux d’hommes modernes. Il est impossible d’éviter l’emploi d’expressions actuelles comme civilisation, culture, tradition, littérature, ou éducation. Mais chacune ne se rapporte qu’à un des aspects de la paideia. »
WERNER Jaeger (trad. André et Simonne DEVYVER), , t. I : La Grèce archaïque, Le génie d’Athènes, Paris, Gallimard, coll. « Tel », 1988 (1re éd. 1933), p. 580